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CONTES. — PREMIÈRE SÉRIE

Antoine finit par s’apercevoir qu’on le trouvait encore bien riche. Il hésita pendant quelque temps. Puis, saisi de crainte à l’idée qu’on pourrait désirer sa mort, il résolut d’en finir une fois pour toutes. Donc, il divisa ce qui lui restait en trois parts : deux pour Maurice et ses petits enfants, une pour lui-même. Il plaça cette dernière en rentes viagères.

« Là ! songeait-il… Maintenant, on n’attendra pas mon héritage… on m’aimera pour moi-même. »

Comme, à cause de son âge, la compagnie d’assurances lui servait un gros intérêt, il avait toujours douze mille livres de rentes. Il n’en dépensait pas la moitié et faisait de nombreux cadeaux et des dons en argent à sa famille. Ainsi avait-il la joie de se voir accueilli avec un extrême empressement et de pouvoir se dire :

« Si désormais on souhaite quelque chose, c’est que je devienne centenaire ! »

Un jour, il tenait ce raisonnement agréable, tout en se promenant par le jardin des Rivoir. C’était en juillet. La vieille nature faisait une débauche de verdure, de corolles et de fruits. Et l’oncle Antoine, heureux, s’étant assis à l’ombre, rêvassait. Des pas craquèrent sur le sable. Il entendit les voix de son neveu et de sa nièce. (Ils étaient invisibles pour lui comme il était invisible pour eux.) La nièce disait :

— Mais non ! Mais non !… L’oncle est un vieux