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L’ONCLE ANTOINE

avec des yeux ordinaires, un nez ordinaire, une bouche ordinaire, et des oreilles disposées à la gauche et à la droite du crâne. Ni vif ni lent, ni actif ni paresseux, point bête et point génial, il devait avoir toute sa vie l’avantage, rassurant après tout, de ne point épater ses contemporains. Aussi bien n’épata-t-il pas son oncle. Mais il en fut aimé. Et cette tendresse, pour n’avoir pas été un coup de foudre, n’en fut que plus solide et plus constante.

Pendant les six années qui suivirent la mort de Rivoir, la présence de l’homoncule ne diminua pas le bonheur d’Antoine. À la vérité, il s’égaya moins du côté des chardonnerets, des mésanges, des rossignols, des lapins et du cerf dix-cors ; il savoura moins la grâce des bouleaux et la rudesse des ormes, mais il prit plaisir à voir pousser le neveu. Il y eut bien une rougeole, cinq ou six grippes et quelques équipées du jeune drille : elles furent compensées par cette jouissance étrange que nous trouvons à donner la becquée au prochain qui n’a pas cessé de croître.

À cet égard, l’oncle Antoine se découvrit une vocation profonde. Plus il faisait pour le présent et l’avenir de son jeune hôte, plus aussi il éprouvait une tendresse qui, deux années après la venue de l’orphelin, était devenue paternelle et même maternelle. Il donnait sa peine, son temps, ses soucis, son argent, avec passion. Bientôt, il ne lui fut plus possible d’être tranquille lorsque le gosse