Page:Rosny aîné - La Mort de la Terre - Contes, Plon, 1912.djvu/134

Cette page a été validée par deux contributeurs.
120
CONTES. — PREMIÈRE SÉRIE

Elle devint plus prudente encore. Elle causait raisonnablement, elle répondait aux questions avec sens. Le gardien fit venir deux ou trois fois le directeur, doutant qu’elle fût encore folle, mais le directeur le rassura.

C’était un vieux praticien qui avait étudié la folie dans sa poche : sa bourse donnait des indications mathématiques sur le degré d’aliénation mentale de ses hôtes. Quoique ne comptant pas sans ses hôtes, il comptait deux fois.

Donc, le bon gardien, satisfait, prenait avec la folle ses aises. Sage, douce, obéissante, elle ne le gênait guère. Elle mangeait fort peu : le gardien n’y trouvait rien à redire, son honnête famille en profitait.

L’automne arriva. À travers ses minces, mais nombreux carreaux, la folle vit l’année grisonner. Bien des nues passèrent entre les horizons. Des feuilles lui arrivaient quelquefois, pauvres choses mortes et recroquevillées, où restaient les délicates nervures de la vie. Les géraniums moururent, les plantes grasses rentrèrent chez le directeur. Les moineaux commencèrent à connaître la faim. Elle voyait leurs bandes errer dans la cour, leurs petits corps roux frissonner au bord des corniches, elle entendait de minces cris, cris de détresse, qu’ils poussaient en hérissant leurs plumes. Elle leur aurait volontiers jeté des miettes, mais le gardien pensait à sa famille.

On la laissait tranquille. Elle maigrit encore et