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Comme les péripéties de cette poursuite exigeaient de nombreux détours, le fils du Léopard fut contraint d’obliquer considérablement vers l’orient, si bien que, le huitième jour, il aperçut le Grand Fleuve. C’était au sommet d’une colline conique, coulée de porphyre où les inondations, les pluies, les végétaux avaient rongé des bords, creusé des pertuis, arraché des blocs, mais qui, pendant des centaines de millénaires, résisteraient à la patience sournoise et aux coups brutaux des météores.

Le fleuve roulait dans sa force. À travers mille pays de pierres, d’herbes et d’arbres, il avait bu les sources, englouti les ruisseaux, dévoré les rivières. Les glaciers s’accumulaient pour lui dans les plis chagrins de la montagne, les sources filtraient aux cavernes, les torrents pourchassaient les granits, les grès ou les calcaires, les nuages dégorgeaient leurs éponges immenses et légères, les nappes se hâtaient sur leurs lits d’argile. Frais, écumeux et vite, lorsqu’il était dompté par les rives, il s’élargissait en lacs sur les terres plates, ou distillait des marécages ; il fourchait autour des îles ; il rugissait en cataractes et sanglotait en rapides. Plein de vie, il fécondait la vie intarissable. Des régions tièdes aux régions fraîches, des alluvions nourries de forces myriadaires aux sols pauvres, surgissaient les peuples lourds de l’arbre : les hordes de figuiers, d’oliviers, de pins, de térébinthes, d’yeuses ; les tribus de sycomores, de platanes, de châtaigniers, d’érables, de hêtres et de chênes ; les troupeaux de noyers, d’abiès, de frênes, de bouleaux ; les files de peupliers blancs, de peupliers noirs, de peupliers grisaille, de peupliers argentés, de peupliers trembles et les clans d’aulnes, de saules blancs, de saules pourpres, de saules glauques et de saules pleureurs.

Dans sa profondeur s’agitait la multitude muette des mollusques, tapis dans leurs demeures de chaux et de