Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même, sentiraient davantage le besoin d’un repaire. Car les grands fauves gîtent rarement sur la terre nue, surtout dans la saison des pluies.

Lorsque les trois hommes virent le brasier du soleil descendre vers les ténèbres, ils conçurent la même angoisse secrète qui, dans le vaste pays des arbres et des herbes, agite les herbivores. Elle s’accrut quand leurs ennemis reparurent. La démarche du Lion Géant était grave, presque lourde ; la tigresse tournait autour de lui dans une gaieté formidable. Ils revinrent flairer la présence des hommes au moment où croulait l’astre rouge, où un frisson immense, des voix affamées s’élevaient sur la plaine : les gueules monstrueuses passaient et repassaient devant les Oulhamr, les yeux de feu vert dansaient comme des lueurs sur un marécage. Enfin, le lion-tigre s’accroupit, tandis que sa compagne se glissait dans les herbes et allait traquer des bêtes parmi les buissons de la rivière.

De grosses étoiles s’allumèrent dans les eaux du firmament. Puis, l’étendue palpita tout entière de ces petits feux immuables et l’archipel de la voie lactée précisa ses golfes, ses détroits, ses îles claires.

Gaw et Nam ne regardaient guère les astres, mais Naoh n’y était pas insensible. Son âme confuse y puisait un sens plus aigu de la nuit, des ténèbres et de l’espace. Il croyait que la plupart apparaissaient seulement comme une poudre de brasier, variables chaque nuit, mais quelques-uns revenaient avec persistance. L’inactivité où il vivait depuis la veille mettant en lui quelque énergie perdue, il rêvait devant la masse noire des végétaux et les lueurs fines du ciel. Et dans son cœur quelque chose s’exaltait, qui le mêlait plus étroitement à la terre.

La lune coula dans les ramures. Elle éclairait le Lion Géant accroupi parmi les herbes hautes et la tigresse qui,