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Il se remit à rôder, tâtant les issues ; toujours il revenait à celle par où s’étaient introduits les hommes. À la fin, il recommença à fouir : un nouveau coup d’épieu interrompit sa besogne et le fit reculer, avec moins de surprise que naguère. Dans sa tête opaque, il conçut que l’entrée du repaire était impossible, mais il n’abandonnait pas la proie, il gardait l’espérance que, si proche, elle n’échapperait point. Après une dernière aspiration et un dernier regard, il sembla ignorer l’existence des hommes ; il se dirigea vers la forêt.

Les trois Nomades s’exaltèrent ; la retraite parut plus sûre ; ils aspiraient délicieusement la nuit : ce fut un de ces instants où les nerfs ont plus de finesse et les muscles plus d’énergie ; des sentiments sans nombre, soulevant leurs âmes indécises, évoquaient la beauté primordiale ; ils aimaient la vie et son cadre, ils goûtaient quelque chose faite de toutes choses, un bonheur créé en dehors et au-dessus de l’action immédiate. Et, comme ils ne pouvaient ni se communiquer une telle impression ni même songer à se la communiquer, ils tournaient l’un vers l’autre leur rire, cette gaieté contagieuse qui n’éclate que sur le visage des hommes. Sans doute ils s’attendaient à voir le lion géant revenir, mais, n’ayant pas du temps une notion précise — elle leur eût été funeste — ils goûtaient le présent dans sa plénitude : la durée qui sépare le crépuscule du soir de celui du matin paraissait inépuisable.

Selon sa coutume, Naoh avait pris la première veille. Il n’avait pas sommeil. Énervé par la bataille du tigre et du lion géant, il sentit, lorsque Gaw et Nam furent étendus, s’agiter les notions que la tradition et l’expérience avaient accumulées dans son crâne. Elles se liaient confusément, elles formaient la légende du Monde. Et