Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

roseaux, la longue lueur du marécage dans le clair de lune.

Trois filles se levèrent parmi les femmes. Elles rôdaient autour des feux ; elles dépensaient l’ardeur de leur vie qu’un jour de lassitude n’avait pu assoupir ; elles passèrent devant Naoh, avec leur rire étrange et la folie de leur jeunesse. Le vent se leva brusquement, une chevelure frappa le jeune Oulhamr au visage, la chevelure de Gammla, et, dans l’instinct sourd, ce fut un choc. Si loin de la tribu, parmi les embûches des hommes et la rudesse du monde, cette image était la chose profonde de la vie. Elle courbait Naoh vers la rive, elle faisait jaillir de sa poitrine un souffle rauque… Elle s’effaça. Il secoua la tête, il recommença de songer à son sauvetage. Une fièvre le prit, il se dressa et tourna le Feu ; il marcha dans la direction des Nains Rouges.

Ses dents grincèrent : l’abri de branches s’était encore rapproché ; peut-être, la nuit suivante, l’ennemi pourrait-il commencer l’attaque.

Soudain, un cri aigu perça l’étendue, une forme émergea de l’eau, d’abord confuse ; puis Naoh reconnut un homme. Il se traînait ; du sang coulait d’une de ses cuisses. Il était d’étrange stature, presque sans épaules, la tête très étroite. Il sembla d’abord que les Nains Rouges ne l’eussent pas aperçu, puis une clameur s’éleva, les sagaies et les pieux sifflèrent. Alors, des impressions tremblèrent dans Naoh et le soulevèrent. Il oublia que cet homme devait être un ennemi ; il ne sentit que le déchaînement de sa fureur contre les Nains Rouges et il courut vers le blessé comme il aurait couru vers Nam et Gaw. Une sagaie le frappa à l’épaule sans l’arrêter. Il poussa son cri de guerre, il se précipita sur le blessé, l’enleva d’un seul geste et battit en retraite. Une pierre lui choqua le crâne, une seconde sagaie lui écorcha l’omoplate…