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Nains Rouges n’étaient plus en vue. Les nuages s’étaient rompus, le soleil coulait par une crevasse bleue, tout au fond des landes. La terre, d’abord pleine et dure, était redevenue mauvaise : elle cachait des fanges qui saisissaient les pieds et les attiraient vers l’abîme. De gros reptiles rampaient sur les promontoires ; des serpents d’eau au corps glauque et roux luisaient parmi les fleuves ; les grenouilles bondissaient avec un cri vaseux : des oiseaux disparaissaient, furtifs, sur de longues pattes ou tranchaient l’air d’un vol frémissant comme les feuilles du tremble.

Les guerriers mangèrent en hâte. Craignant les embûches de cette contrée, ils s’efforcèrent de découvrir une issue. Parfois ils croyaient y parvenir. Le sol se raffermissait, des hêtres, des sycomores, des fougères succédaient aux saules, aux peupliers et aux herbes palustres. Bientôt l’eau fiévreuse recommençait, les pièges s’ouvraient sournoisement, il fallait perdre ses pas et ses efforts.

La nuit fut proche. Le soleil prit la couleur du sang frais ; il s’affaissa sur le couchant noyé de tourbes, il s’embourba dans les mares.

Les Oulhamr savaient qu’il ne fallait compter que sur leur courage et leur vigilance ; ils avancèrent encore tant qu’il y eut une lueur au fond du firmament, puis ils firent halte, ayant devant eux une lande et à l’arrière un sol chaotique, où ils entr’apercevaient alternativement des clartés vagues et des trous de ténèbres. Ils arrachèrent des branches, roulèrent quelques grosses pierres, et, liant le tout à l’aide de lianes et d’osiers, ils se trouvèrent à l’abri d’une surprise. Mais ils se gardèrent d’allumer un brasier : ils donnaient seulement la nourriture aux petits feux, à demi cachés dans la terre ; ils attendaient les choses obscures qui tantôt menacent et tantôt sauvent la vie des hommes.