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CONTINUA. DES AMOURS

Amour, tu me fis voir, pour trois grandes merveilles,
Trois seurs, allant au soer, se pourmener sur l’eau,
Qui croissoient à l’envy, ainsi qu’au renouveau
Croissent dans un pommier trois pommettes pareilles.
Toutes les trois estoient en beauté nompareilles,
Mais la plus jeune avoit le visage plus beau,
Et sembloit une fleur voisine d’un ruysseau,
Qui remire dans l’eau ses richesses vermeilles.
Ores je souhaitois la plus vieille en mes vœus,
Et ores la moienne, & ores toutes deux,
Mais tousjours la petite estoit en ma pensée,
Et priois le Soleil de n’enmener le jour :
Car ma veüe en trois ans n’eust pas esté lassée
De voir ces trois Soleilz qui m’enflamoient d’amour.


Mon ami puisse aimer une femme de ville,
Belle, courtoise, honeste, & de doux entretien :
Mon haineux puisse aimer au village une fille,
Qui soit badine, sote, & qui ne sache rien.
Tout ainsi qu’en amour le plus excellent bien
Est d’aimer une femme, & savante, & gentille,
Aussi le plus grand mal à ceuls qui aiment bien
C’est d’aimer une femme indocte, & mal-habille.
Une gentille Dame entendra de nature
Quel plaisir c’est d’aimer, l’autre n’en aura cure
Se peignant un honneur dedans son esprit sot,