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DE P. DE RONSARD.

Jamais vous repentir d’avoir aimé Ronsard.
C’est lui, Dame, qui peut avecque son bel art
Vous afranchir des ans, et vous faire Deesse :
Prométre il peut cela, car rien de lui ne part
Qu’il ne soit immortel, et le ciel le confesse.
Vous me responderés qu’il est un peu sourdaut,
Et que c’est deplaisir en amour parler haut :
Vous dites verité, mais vous celés aprés,
Que luy, pour vous ouir, s’aproche à vôtre oreille,
Et qu’il baise à tous coups vôtre bouche vermeille
Au milieu des propos, d’autant qu’il en est prés.


Mais respons, meschant Loir, me rens-tu ce loier,
Pour avoir tant chanté ta gloire et ta louange ?
As-tu osé, barbare, au milieu de ta fange
Renversant mon bateau, sous tes eaus m’envoier ?
Si ma plume eut daigné seulement emploier
Six vers, à celebrer quelque autre fleuve estrange,
Quiconque soit celui, fusse le Nil, ou Gange,
Comme toi n’eust voulu dans ses eaus me noier :
D’autant que je t’aimoi, je me fiois en toi,
Mais tu m’as bien montré que l’eau n’a point de foi :
N’es-tu pas bien meschant ? pour rendre plus famé
Ton cours, à tout jamais du los qui de moi part,
Tu m’as voulu noier, afin d’estre nommé,
En lieu du Loir, le fleuve où se noya Ronsard.