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CONTINUA. DES AMOURS

Quant à moi, si ne fust la longue experience,
Que j’ay, de soufrir mal, je mourrois à l’instant.
Toutesfois quand je pense un peu dans mon courage
Que je ne suis tout seul des femmes abusé,
Et que de plus rusés en ont reçeu dommage,
Je pardonne à moimesme, & m’ay pour excusé :
Car vous qui me trompés en estes coustumiere,
Et qui pis est, sur toute en beauté la premiere.


Le vintiéme d’Avril couché sur l’herbelette,
Je vy, ce me sembloit, en dormant un Chevreuil,
Qui çà, puis là, marchoit où le menoit son vueil :
Foulant les belles fleurs de mainte gambelette.
Une corne & une autre encore nouvelette
Enfloit son petit front, petit, mais plein d’orgueil :
Comme un Soleil luisoit par les prets son bel œil,
Et un carquan pendoit sus sa gorge douillette.
Si tost que je le vy, je voulu courre aprés,
Et lui qui m’avisa print sa course es forés,
Où, se moquant de moi, ne me voulut attendre.
Mais en suivant son trac, je ne m’avisay pas
D’un piege entre les fleurs, qui me lia mes pas,
Et voulant prendre autrui moimesme me fis prendre.


Bien que vous surpassiés en grace & en richesse
Celles de ce païs, & de toute autre part,
Vous ne devés pourtant, & fussiés vous princesse,