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STANCES

Je lamente sans reconfort,
Me souvenant de ceste mort
Qui desroba ma douce vie :
Pensant, en ces yeux qui souloient
Faire de moy ce qu’ils vouloient,
De vivre je n’ay plus d’envie.
Amour, tu n’as point de pouvoir
A mon dam tu m’as fait sçavoir
Que ton arc partout ne commande.
Si tu avois quelque vertu,
La Mort ne t’eust pas dévestu
De ta richesse la plus grande.
Tout seul tu n’as perdu ton bien :
Comme toy j’ay perdu le mien,
Ceste beauté que je desire,
Qui fut mon thresor le plus cher :
Tous deux contre un mesme rocher
Avons froissé nostre navire.
Souspirs, eschaufez son tombeau :
Larmes, lavez-le de vostre eau :
Ma vois si doucement se plaigne,
Qu’à la Mort vous faciez pitié,
Ou qu’elle rende ma moitié,
Ou que ma moitié j’accompaigne.
Fol qui au monde met son cœur :
Fol qui croit en l’espoir mocqueur,
Et en la beauté tromperesse.
Je me suis tout seul offensé,