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I. LIVRE

Fendant les eſcadrons eſpais :
Non vne fois Troye fut priſe :
Maint Prince a fait mainte entrepriſe
Deuant le camp des deux Rois Grecs.
Mais leur prouëſſe n’eſt cogneuë,
Et vne obliuieuſe nuë
Les tient ſous vn ſilence eſtraints :
Engloutie eſt leur vertu haute
Sans renom, pour auoir eu faute
Du ſecours des Poëtes ſaints.
Mais la mort ne vient impunie,
Si elle atteint l’ame garnie
Du vers que la Muſe a chanté,
Qui pleurant de dueil ſe tourmente
Quand l’homme aux enfers ſe lamente
Dequoy ſon nom n’eſt point vanté.
Le tien le ſera : car ma plume
Aime volontiers la couſtume
De louer les bons comme toy,
Qui preuois l’vn & l’autre terme
Des deux ſaiſons, conſtant & ferme
Contre le temps qui va ſans foy :
Plein de vertu, pur de tout vice,
Non bruſlant apres l’auarice,
Qui tout attire dans ſon poing,
Chenu de mœurs, ieune de force,
Amy d’eſpreuue, qui s’efforce
Secourir les ſiens au beſoing.
Celuy qui ſur la teſte ſienne
Voit l’eſpee Sicilienne,
Des douces tables l’appareil
N’irrite ſa faim, ny la noiſe