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DES ODES.

Et que la mort guide nos pas,
Et que noſtre fangueuſe maſſe
Si toſt s’eſuanouyt en rien,
Qu’à grand’peine auons-nous l’eſpace
De gouſter la douceur du bien ?
Le Deſtin & la Parque noire
En tous âges ſillent nos yeux :
Ieunes & vieux ils meinent boire
Les flots du lac obliuieux :
Meſmes les Rois, foudres de guerre,
Deſpouillez de veines & d’os,
Ainſi que vachers ſous la terre
Viendront au throne de Minos.
C’eſt pitié que de noſtre vie :
Par les eaux l’auare marchant
Se voit ſa chere ame rauie,
Le ſoudart par le fer trenchant :
Celuy par vn proces ſe mine,
Et ſe baniſt du doux ſommeil,
Et l’autre accueilly de famine
Perd la lumiere du Soleil.
Bref, on ne voit choſe qui viue
Sans eſtre ſerue de douleur :
Mais ſur tout la race chetiue
Des hommes foiſonne en malheur.
Du malheur nous ſommes la proye :
Außi Phebus ne vouloit pas
Pour eux à bon droit deuant Troye
Se mettre au danger des combas.
Ah ! que maudite ſoit l’aſneſſe,
Laquelle pour trouuer de l’eau,
Au ſerpent donna la ieuneſſe,