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de ces commandements tiendra la plus petite place dans le royaume des cieux.

Et Tolstoï ajoute naïvement :

Si étrange que cela paraisse, j’ai dû, après dix-huit siècles, découvrir ces règles comme une nouveauté.

Tolstoï croit-il donc à la divinité du Christ ? — En aucune façon. À quel titre l’invoque-t-il ? Comme le plus grand de la lignée des sages, — Brahmanes, Bouddha, Lao-Tse, Confucius, Zoroastre, Isaïe, — qui ont montré aux hommes le vrai bonheur auquel ils aspirent et la voie qu’il faut suivre[1].

  1. À mesure qu’il avançait en âge, ce sentiment de l’unité de la vérité religieuse à travers l’histoire humaine, et de la parenté du Christ avec les autres sages, depuis Bouddha jusqu’à Kant et à Emerson, ne fit que s’accentuer, au point que Tolstoï se défendait, dans ses dernières années, d’avoir « aucune prédilection pour le christianisme ». Tout particulièrement importante, en ce sens, est une lettre, écrite le 27 juillet-9 août 1909 au peintre Jan Styka, et récemment reproduite dans le Théosophe du 16 janvier 1911. Suivant son habitude, Tolstoï, tout plein de sa conviction nouvelle, a une tendance à oublier un peu trop son état d’âme ancien et le point de départ de sa crise religieuse, qui était purement chrétien :

    « La doctrine de Jésus, écrit-il, n’est pour moi qu’une des belles doctrines religieuses que nous avons reçues de l’antiquité égyptienne, juive, hindoue, chinoise, grecque. Les deux grands principes de Jésus : l’amour de Dieu, c’est-à-dire de la perfection absolue, et l’amour du prochain, c’est-à-dire de tous les hommes sans aucune distinction, ont été prêchés par tous les sages du monde : Krishna, Bouddha, Lao-Tse, Confucius, Socrate, Platon, Épictète, Marc-Aurèle, et parmi les modernes, Rousseau, Pascal, Kant, Emerson, Channing, et beaucoup d’autres. La vérité religieuse et morale est partout et toujours la même… Je n’ai aucune prédilection pour le christianisme. Si j’ai été particulièrement intéressé par la doctrine de Jésus, c’est : 1o parce que je suis