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pour tomber à la fin dans une niaiserie mystique.

Mais l’intérêt principal du roman, avec la tragédie d’Anna et les tableaux variés de la société russe vers 1860, — salons, cercles d’officiers, bals, théâtres, courses, — est dans son caractère autobiographique. Beaucoup plus qu’aucun autre personnage de Tolstoï, Constantin Levine est son incarnation. Non seulement Tolstoï lui a prêté ses idées à la fois conservatrices et démocratiques, son antilibéralisme d’aristocrate paysan qui méprise les intellectuels[1] ; mais il lui a prêté sa vie. L’amour de Levine et de Kitty et leurs premières années de mariage sont une transposition de ses propres souvenirs domestiques, — de même que la mort du frère de Levine est une douloureuse évocation de la mort du frère de Tolstoï, Dmitri. Toute la dernière partie, inutile au roman, nous fait lire dans les troubles qui l’agitaient alors. Si l’épilogue de Guerre et Paix était une transition artistique à une autre œuvre projetée, l’épilogue d’Anna Karénine est une transition autobiographique à la révolution morale, qui devait, deux ans plus tard, s’exprimer par les Confessions. Déjà, au cours du livre, revient perpétuellement, sous une forme ironique ou violente, la critique de la société contemporaine, qu’il ne cessera de combattre dans ses œuvres futures. Guerre au mensonge, à tous

  1. Noter aussi, dans l’épilogue, l’esprit nettement hostile à la guerre et au nationalisme, au panslavisme.