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se communiquent au lecteur. Surtout, ce qui fait le plus grand charme de Guerre et Paix, c’est sa jeunesse de cœur. Il n’est pas une autre œuvre de Tolstoï qui soit aussi riche en âmes d’enfants et d’adolescents ; et chacune est une musique, d’une pureté de source, d’une grâce qui attendrit comme une mélodie de Mozart : le jeune Nicolas Rostov, Sonia, le pauvre petit Pétia.

La plus exquise est Natacha. Chère petite fille, fantasque, rieuse, au cœur aimant, qu’on voit grandir auprès de soi, que l’on suit dans la vie, avec la chaste tendresse qu’on aurait pour une sœur, — qui ne croit l’avoir connue ?… Nuit admirable de printemps, où Natacha, à sa fenêtre que baigne le clair de lune, rêve et parle follement, au-dessus de la fenêtre du prince André qui l’écoute… Émotions du premier bal, amour, attente d’amour, floraison de désirs et de rêves désordonnés, course en traîneau, la nuit, dans la forêt neigeuse où s’allument des lueurs fantastiques. Nature, qui vous étreint de sa trouble tendresse. Soirée à l’Opéra, monde étrange de l’art, où la raison se grise ; folie du cœur, folie du corps qui se languit d’amour ; douleur qui lave l’âme, divine pitié, qui veille le bien-aimé mourant… On ne peut évoquer ces pauvres souvenirs sans l’émotion qu’on aurait à parler d’une amie, la plus aimée. Ah ! qu’une telle création fait mesurer la faiblesse des types féminins dans presque tout le roman et le théâtre