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peut-être à ce temps imparfait. Mais je suis pleinement heureux… Seulement, c’est bien triste, quand on ne sait qu’écrire, dans une occasion pareille !… »

Le petit Japonais a su, par ces simples lignes d’une humble vie heureuse, de sagesse et de labeur, réaliser beaucoup mieux l’idéal de Tolstoy et parler à son cœur que tous les doctes collaborateurs au livre du Jubilé[1].

En sa qualité de Russe, Tolstoy avait de nombreuses occasions de connaître les mahométans, — puisque l’empire de Russie en comptait vingt millions de sujets. Aussi tiennent-ils une large place dans sa correspondance. Mais ils n’y apparaissent guère avant 1901. Et ce fut, au printemps de cette année, sa réponse au Saint-Synode et son excommunication qui les lui conquirent. La haute et ferme parole traversa le monde musulman comme le char d’Élie. Ils n’en retinrent que l’affirmation monothéiste, où leur semblait se répercuter la voix de leur Prophète, et ils tâchèrent naïvement de l’annexer. Des Baschkirs de Russie, des muftis indiens, des musulmans de Constantinople lui écrivent qu’ils ont « pleuré de joie », en lisant le démenti public infligé par sa main à toute la chrétienté ; et ils le félicitent de s’être enfin délivré « de la sombre croyance à la Trinité ». Ils l’appellent leur « frère » et s’efforcent de le convertir tout à fait. Avec une comique inconscience, l’un d’eux, un mufti de l’Inde, Mohammed Sadig, de Kadiam, Gurdaspur, se réjouit de lui faire connaître que son nouveau Messie islamique (un certain Chazrat Mirza Gulam Achmed) vient d’anéantir le mensonge chrétien de la Résurrection en

  1. Tokutomi rappelle que Tolstoy lui demanda, en 1906 : — « Savez-vous quel est mon âge ? » — « Soixante-dix-huit ans, » répondis-je. — « Non, vingt-huit. » Je réfléchis et je dis : — « Ah ! oui, en comptant votre naissance du jour où vous êtes devenu le nouvel homme. » Il fit signe que oui. »