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LA FIN DU VOYAGE

profonde encore, plus inconnue, — inconnue d’elle-même, — était la marque du destin, le mal intérieur qui déjà commençait à la ronger. — Cependant, les Langeais ne voyaient d’elle que son clair regard, qui parfois les gênait.

Jacqueline ne faisait guère attention à la tante, quand elle était insouciante et heureuse, — ce qui fut d’abord son état le plus ordinaire. Mais quand elle arriva à l’âge, où se fait sourdement dans le corps et dans l’âme un travail inquiétant qui livre l’être à des angoisses, des dégoûts, des terreurs, des tristesses éperdues, dans ces moments de vertige absurde et atroce, qui ne durent pas heureusement, mais où l’on se sent mourir, — l’enfant qui se noyait et qui n’osait pas crier : « Au secours ! » vit seule, à côté d’elle, la tante Marthe qui lui tendait la main. Ah ! comme les autres étaient loin ! Étrangers, son père et sa mère, avec leur égoïsme affectueux, trop satisfait de soi pour songer aux petits chagrins d’une poupée de quatorze ans ! Mais la tante les devinait, et elle y compatissait. Elle ne disait rien. Elle souriait, simplement ; par-dessus la table, elle échangeait avec Jacqueline un regard de bonté. Jacqueline sentait que la tante la comprenait, et elle venait se réfugier auprès d’elle.