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LES AMIES

leurs par d’autres préoccupations : il pensait à Olivier, il pensait à Françoise ; le matin même, il venait de lire dans un journal qu’elle était tombée gravement malade à San Francisco : il se la représentait seule dans une ville étrangère, dans une chambre d’hôtel, se refusant à voir personne, à écrire à ses amis, serrant les dents, attendant, seule, la mort.

Obsédé par ces pensées, il évitait le monde ; et il s’était retiré dans un petit salon à l’écart. Adossé au mur, dans un retrait à demi dans l’ombre, derrière un rideau de plantes vertes et de fleurs, il écoutait la belle voix de Philomèle, élégiaque et chaude, qui chantait Le Tilleul de Schubert ; et la pure musique faisait monter la mélancolie des souvenirs. En face de lui, au mur, une grande glace reflétait les lumières et la vie du salon voisin. Il ne la voyait pas : il regardait en lui ; et il avait devant les yeux un brouillard de larmes… Soudain, comme le vieil arbre de Schubert qui frissonne, il se mit à trembler, sans raison. Il resta quelques secondes ainsi, très pâle, sans bouger. Puis, le voile de ses yeux se dissipant, il vit devant lui, dans la glace, « l’amie » qui le regardait… L’amie ? Qui était-elle ? Il ne savait rien de plus, sinon qu’elle