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LA FIN DU VOYAGE

— Oui, pas toujours… Les femmes ne sont pas très heureuses. Il est difficile d’être une femme. Beaucoup plus que d’être un homme. Vous ne vous en doutez pas assez. Vous, vous pouvez vous absorber en une passion d’esprit, en une activité. Vous vous mutilez, mais vous en êtes plus heureux. Une femme saine ne le peut pas sans souffrance. Il est inhumain d’étouffer une partie de soi-même. Nous, quand nous sommes heureuses d’une façon, nous regrettons l’autre façon. Nous avons plusieurs âmes. Vous, vous n’en avez qu’une, plus vigoureuse, souvent brutale, et même monstrueuse. Je vous admire. Mais ne soyez pas trop égoïstes. Vous l’êtes beaucoup, sans vous en douter. Vous nous faites bien du mal, sans vous en douter.

— Que faire ? Ce n’est pas notre faute.

— Non, ce n’est pas votre faute, mon bon Christophe. Ce n’est ni votre faute, ni la nôtre. Au bout du compte, voyez-vous, c’est que la vie n’est pas du tout une chose simple. On dit qu’il n’y a qu’à vivre d’une façon naturelle. Mais qu’est-ce qui est naturel ?

— C’est vrai. Rien n’est naturel dans notre vie. Le célibat n’est pas naturel. Le mariage ne l’est pas non plus. Et l’union libre livre les faibles à la rapacité des forts. Notre société