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LES AMIES

siècles, et jamais résolue, de l’union de la poésie et de la musique. Ses conversations avec Françoise le ramenaient aux projets, esquissés autrefois avec Corinne, d’une forme de drame musical tenant le milieu entre l’opéra récitatif et le drame parlé, — l’art de la parole libre unie à la musique libre, — art dont ne se doute presque aucun artiste d’aujourd’hui, et que la critique routinière, imbue de tradition wagnérienne, nie comme elle nie toute œuvre vraiment neuve : car il ne s’agit pas ici de marcher dans les traces de Beethoven, de Weber, de Schumann, de Bizet, quoiqu’ils aient pratiqué le mélodrame avec génie ; il ne s’agit pas de plaquer une voix parlée quelconque sur une musique quelconque et de produire, coûte que coûte, avec des trémolos, de grossiers effets sur des publics grossiers ; il s’agit de créer un genre nouveau, où des voix musicales se marient à des instruments apparentés à ces voix, et mêlent discrètement à leurs stances harmonieuses l’écho des rêveries et des plaintes de la musique. Il va de soi qu’une telle forme ne saurait s’appliquer qu’à un ordre limité de sujets, à des moments de l’âme, intimes et recueillis, afin d’en évoquer le parfum poétique. Nul art qui doive être plus discret et plus aristocra-