Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 8.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

118
LA FIN DU VOYAGE

façait chaque jour. Sa poésie s’était fondue. Elle devenait banale.

On changea d’appartement. Celui qu’on avait eu tant de peine et de plaisir à installer sembla étroit et laid. Au lieu des modiques petites chambres, toutes rayonnantes d’âme, aux fenêtres desquelles un arbre ami balançait sa silhouette gracile, on prit un appartement vaste, confortable, bien distribué, que l’on n’aimait pas, que l’on ne pouvait aimer, où l’on mourait d’ennui. Aux vieux objets familiers on substitua des meubles, des tentures, qui vous étaient étrangers. Il n’y eut plus nulle part de place pour le souvenir. Les premières années de vie commune furent balayées de la pensée… Grand malheur pour deux êtres unis, de briser les liens qui les rattachent à leur passé d’amour ! L’image de ce passé est une sauvegarde contre les découragements et les hostilités, qui succèdent fatalement aux premières tendresses… La facilité des dépenses avait rapproché Jacqueline, à Paris et en voyage — (car maintenant qu’ils étaient riches, ils voyageaient souvent) — d’une classe de gens riches et inutiles, dont la société lui inspirait une sorte de mépris pour le reste des hommes, pour ceux qui travaillent. Avec son merveilleux pouvoir