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LA FIN DU VOYAGE

d’une langueur de printemps, chaleur dorée des corps, treille d’amour ensoleillée, chaste impudeur, étreintes, folies, soupirs, rires heureux, heureuses larmes, que reste-t-il de vous, poussière de bonheur ? À peine si le cœur peut se souvenir de vous : car lorsque vous étiez, le temps n’existait pas.

Journées toutes semblables… Aube douce… De l’abîme du sommeil, les deux corps enlacés surgissent à la fois ; les têtes souriantes, dont l’haleine se mêle, ouvrent les yeux ensemble, se regardent et se baisent… Juvénile fraîcheur des heures matinales, air virginal où s’apaise la fièvre des corps brûlants… Voluptueuse torpeur des jours interminables, au fond desquels bourdonne la volupté des nuits… Après-midi d’été, rêveries dans les champs, sur les prés veloutés, sous le bruissement d’étoffes des longs peupliers blancs… Rêveries des beaux soirs, quand on revient ensemble, bras et mains enlacés, sous le ciel lumineux, vers le lit amoureux. Le vent fait frissonner les branches des buissons. Dans le lac clair du ciel flotte le duvet blanc de la lune d’argent. Une étoile tombe et meurt, — petite secousse au cœur, — un monde soufflé sans bruit. Sur la route, auprès d’eux, passent de rares ombres, rapides et muettes. Les