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LA FOIRE SUR LA PLACE

à l’aise pour admirer des maîtres archaïques, qui tous étaient oubliés, et dont certains étaient restés jusqu’à ce jour totalement inconnus. Au rebours des écoles laïques de France, qui font dater le monde de la Révolution française, les musiciens regardaient celle-ci comme une chaîne de montagnes massives, qu’il fallait gravir pour contempler, derrière, l’âge d’or de la musique, l’Eldorado de l’art. Après une longue éclipse, l’âge d’or allait renaître : la dure muraille s’effondrait ; un magicien des sons faisait refleurir un printemps merveilleux ; le vieux arbre de musique revêtait un jeune plumage tendre ; dans le parterre d’harmonies, mille fleurs ouvraient leurs yeux riants à l’aurore nouvelle ; on entendait bruire les sources argentines, le chant frais des ruisseaux : — c’était une idylle.

Christophe était ravi. Mais quand il regardait les affiches des théâtres parisiens, il y voyait toujours les noms de Meyerbeer, de Gounod, de Massenet, voire de Mascagni et de Leoncavallo, qu’il ne connaissait que trop ; et il demandait à ses amis si cette musique impudente, ces pâmoisons de filles, ces fleurs artificielles, cette boutique de parfumeur, étaient les jardins d’Armide, qu’ils lui avaient promis. Ils se récriaient, d’un air offensé : c’étaient, à les en croire, les derniers vestiges d’un âge moribond ; personne n’y songeait plus. — À la vérité, Cavalleria Rusticana trônait à l’Opéra-Comique, et Pagliacci à l’Opéra ;