Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

71
LA FOIRE SUR LA PLACE

ils ne savaient rien, — que toute la critique d’outre-Rhin.

En ce temps-là, les critiques musicaux français s’étaient décidés à apprendre la musique. Il y en avait même quelques-uns qui la savaient : c’étaient des originaux, qui s’étaient donné la peine de réfléchir sur leur art, et de penser par eux-mêmes. Ceux-là, naturellement, n’étaient pas très connus : ils restaient cantonnés dans leurs petites revues ; à une ou deux exceptions près, les journaux n’étaient pas pour eux. Braves gens, intelligents, intéressants, que leur isolement inclinait parfois au paradoxe, et l’habitude de causer tout seuls, à l’intolérance de jugement et au bavardage. — Les autres avaient appris hâtivement les rudiments de l’harmonie ; et ils restaient émerveillés devant leur science récente. Ainsi que monsieur Jourdain, lorsqu’il vient d’apprendre les règles de la grammaire, ils s’émerveillaient de leur savoir :

D, a, Da. F, a, Fa. R, a, Ra… Ah ! que cela est beau !… Ah ! la belle chose que de savoir quelque chose !…

Ils ne parlaient plus que de sujet et de contresujet, d’harmoniques et de sons résultants, d’enchaînements de neuvièmes et de successions de tierces majeures. Quand ils avaient nommé les suites d’harmonies, qui se déroulaient dans une page, ils s’épongeaient le front avec fierté : ils croyaient avoir expliqué le morceau ; ils croyaient