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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

concerts. Il croyait, comme la plupart des Allemands, que la musique tenait en France une place subordonnée ; et il s’attendait à ce qu’on la lui servît par petites rations, mais très soignées. On lui offrit, pour commencer, quinze concerts en sept jours. Il y en avait pour tous les soirs de la semaine, et souvent deux ou trois par soir, à la même heure, dans des quartiers différents. Pour le dimanche, il y en avait quatre, à la même heure, toujours. Christophe admirait cet appétit de musique. Il n’était pas moins frappé de l’abondance des programmes. Il pensait jusque-là que ses compatriotes avaient la spécialité de ces goinfreries de sons, qui lui avaient plus d’une fois répugné en Allemagne. Il constata que les Parisiens leur eussent rendu des points à table. On leur faisait bonne mesure : deux symphonies, un concerto, une ou deux ouvertures, un acte de drame lyrique. Et de toute provenance : allemand russe, scandinave, français, — bière, champagne, orgeat et vin, — ils avalaient tout, sans broncher. Christophe s’émerveillait que ces oiselles françaises eussent un aussi vaste estomac. Cela ne les gênait guère. Le tonneau des Danaïdes. Il ne restait rien au fond.

Christophe ne tarda pas à remarquer que cette quantité de musique se réduisait en somme à fort peu de chose. Il trouvait à tous les concerts les mêmes figures et les mêmes morceaux. Ces programmes copieux ne sortaient jamais du même