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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

malgré lui, en défiance contre ce Baal musical, à qui l’on sacrifiait la musique tout entière. Il était scandalisé d’entendre parler ainsi des maîtres ; et il ne se rappelait pas que naguère lui-même, en Allemagne, en avait dit bien d’autres. Lui qui se croyait là-bas un révolutionnaire en art, lui qui scandalisait les autres par sa hardiesse de jugement et sa verte franchise, — dès les premiers mots en France, il se sentait devenu conservateur, dans l’âme. Il voulut discuter, et il eut le mauvais goût de le faire, non pas en homme bien élevé, qui avance des arguments et ne les démontre pas, mais en homme du métier, qui va chercher des faits précis, et qui vous en assomme. Il ne craignit pas d’entrer dans des explications techniques ; et sa voix, en discutant, montait à des intonations, bien faites pour blesser les oreilles d’une société d’élite, où ses arguments et la chaleur qu’il mettait à les soutenir paraissaient également ridicules. Le critique se hâta de mettre fin par un mot, dit d’esprit, à une discussion fastidieuse, où Christophe venait de s’apercevoir avec stupéfaction que son interlocuteur ne savait rien de ce dont il parlait. L’opinion était faite désormais sur l’Allemand pédantesque et suranné ; et, sans qu’on la connût, sa musique fut jugée détestable. Mais l’attention de cette trentaine de jeunes gens, aux yeux railleurs, prompts à saisir les ridicules, avait été ramenée vers ce personnage bizarre, qui agitait avec des mouvements