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LA FOIRE SUR LA PLACE

nom ! C’était un gaillard ; comment diable avait-il pu faire ? — Il demanda des explications. Les autres, qui eussent été bien embarrassés pour lui en donner, et que Christophe assommait, l’adressèrent au musicien de la bande, le grand critique musical, Théophile Goujart, qui lui parla aussitôt de septièmes et de neuvièmes. Christophe le suivit sur ce terrain. Goujart savait la musique, à peu près comme Sganarelle savait le latin…

— … Vous n’entendez point le latin ?

Non.

— (Avec enthousiasme) Cabricias, arci thuram, catalamus, singulariter,… bonus, bona, bonum…

Se trouvant en présence d’un homme, qui « entendait le latin », il se replia prudemment aussitôt dans le maquis de l’esthétique. De ce refuge inexpugnable, il se mit à fusiller Beethoven, Wagner, et l’art classique, qui n’étaient pas en cause : (mais en France, on ne peut louer un artiste, sans lui offrir en holocauste tous ceux qui ne sont pas comme lui). Il proclamait l’avènement d’un art nouveau, foulant aux pieds les conventions du passé. Il parlait d’une langue musicale, qui venait d’être découverte par le Christophe Colomb de la musique parisienne, et qui supprimait totalement la langue des classiques, en faisait une langue morte.

Christophe, tout en réservant son opinion sur le génie novateur, dont il attendait d’avoir vu les œuvres pour pouvoir en rien dire, se sentait,