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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

avez parlé de moi ? Qu’est-ce qu’on a répondu ?

Kohn se renfrognait de plus en plus. Christophe était surpris de ses manières guindées : ce n’était plus le même homme.

— J’ai parlé de vous, dit Kohn ; mais je ne sais rien encore ; je n’ai pas eu le temps. J’ai été très pris, depuis que je vous ai vu. Des affaires par-dessus la tête. Je ne sais comment j’en viendrai à bout. C’est écrasant. Je finirai par tomber malade.

— Est-ce que vous ne vous sentez pas bien ? demanda Christophe, d’un ton de sollicitude inquiète.

Kohn lui jeta un coup d’œil narquois, et répondit :

— Pas bien du tout. Je ne sais ce que j’ai, depuis quelques jours. Je me sens très souffrant.

— Ah ! mon Dieu ! fit Christophe, en lui prenant le bras. Soignez-vous bien, surtout ! Il faut vous reposer. Comme je suis fâché de vous avoir donné encore cette peine de plus ! Il fallait me le dire. Qu’est-ce que vous sentez, au juste ?

Il prenait si au sérieux les mauvaises raisons de l’autre que Kohn, gagné par une douce hilarité qu’il cachait de son mieux, fut désarmé par cette candeur comique. L’ironie est un plaisir si cher aux Juifs — (et nombre de chrétiens à Paris sont Juifs sur ce point) — qu’ils ont des indulgences spéciales pour les fâcheux et pour les ennemis même, qui leur offrent une occasion de l’exercer à leurs dépens. D’ailleurs, Kohn ne laissait pas