Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

29
LA FOIRE SUR LA PLACE

sement serré dans un mouchoir, au fond de sa valise, — diminuaient rapidement. Il se soumit à un régime sévère. Il descendait seulement, vers le soir, pour dîner, dans le cabaret d’en bas, où il avait été rapidement connu des clients, sous le nom du « Prussien », ou de « Choucroute ». — Il écrivit, au prix de pénibles efforts, deux ou trois lettres à des musiciens français, dont le nom lui était vaguement connu. Un d’eux était mort depuis dix ans. Il leur demandait de vouloir bien lui donner audience. L’orthographe était extravagante, et le style agrémenté de ces longues inversions et de ces formules cérémonieuses, qui sont habituelles en allemand. Il adressait l’épître : « Au Palais de l’Académie de France. » — Le seul qui la lut en fit des gorges chaudes avec ses amis.

Après une semaine, Christophe retourna à la librairie. Le hasard le servit, cette fois. Sur le seuil, il croisa Sylvain Kohn, qui sortait. Kohn fit la grimace, en se voyant pincé ; mais Christophe était si heureux qu’il ne s’en aperçut pas. Il lui avait ressaisi les mains, suivant son habitude agaçante, et il demandait, tout joyeux :

— Vous étiez en voyage ? Vous avez fait bon voyage ?

Kohn acquiesçait, mais ne se déridait pas. Christophe continua :

— Je suis venu, vous savez… On vous a dit, n’est-ce pas ?… Eh bien, quoi de nouveau ? Vous