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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

Christophe se confondait en remerciements. Il se sentait le cœur déchargé d’un grand poids.

À table, il dévora, de l’appétit d’un homme qui ne s’était pas repu depuis deux jours. Il s’était noué sa serviette autour du cou, et mangeait avec son couteau. Kohn-Hamilton était horriblement choqué par sa voracité et ses manières paysannes. Il ne fut pas moins blessé du peu d’attention que son convive prêtait à ses vantardises. Il voulait l’éblouir par le récit de ses belles relations et de ses bonnes fortunes ; mais c’était peine perdue : Christophe n’écoutait pas, il interrompait sans façons. Sa langue se déliait ; il devenait familier. Il avait le cœur gonflé de gratitude, et il assommait Kohn, en lui confiant naïvement ses projets d’avenir. Surtout, il l’exaspérait par une insistance à lui prendre la main pardessus la table et à la presser avec effusion. Et il mit le comble à son irritation, en voulant à la fin trinquer, à la mode allemande, et boire, avec des paroles sentimentales, à ceux qui étaient là-bas et au Vater Rhein. Kohn vit, avec épouvante, le moment où il allait chanter. Les voisins de table les regardaient ironiquement. Kohn prétexta des occupations urgentes, et se leva. Christophe s’accrochait à lui ; il voulait savoir quand il pourrait avoir une recommandation, se présenter chez quelqu’un, commencer ses leçons.

— Je vais m’en occuper. Aujourd’hui. Ce soir