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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

belle flâneuse… La délicieuse lumière de Paris ! C’était la première chose que Christophe avait aimée dans cette ville ; elle le pénétrait, doucement, doucement ; peu à peu, elle transformait son cœur, sans qu’il s’en aperçût. C’était pour lui la plus belle des musiques, la seule musique parisienne. Il passait des heures, le soir, le long des quais, ou dans les jardins de l’ancienne France, à savourer les harmonies du jour sur les grands arbres baignés de brume violette, sur les statues et les vases gris, sur la pierre patinée des monuments royaux, qui avait bu la lumière des siècles, — cette atmosphère subtile, faite de soleil fin et de vapeur laiteuse, où flotte, dans une poussière d’argent, l’esprit riant de la race.

Un soir, il était accoudé près du pont Saint-Michel, et, tout en regardant l’eau, il feuilletait distraitement les livres d’un bouquiniste, étalés sur le parapet. Il ouvrit au hasard un volume dépareillé de Michelet. Il avait déjà lu quelques pages de cet historien, qui ne lui avait pas trop plu par sa hâblerie française, son pouvoir de se griser de mots, et son débit trépidant. Mais, ce soir-là, dès les premières lignes, il fut saisi : c’était la fin du procès de Jeanne d’Arc. Il connaissait par Schiller la Pucelle d’Orléans ; mais jusqu’ici, elle n’était pour lui qu’une héroïne romanesque, à laquelle un grand poète avait prêté une vie imaginaire. Brusquement, la réalité lui apparut, et elle l’étreignit. Il lisait, il lisait,