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Il marchait à grands pas dans la rue. Il était ivre de colère. La pluie le dégrisa. Où allait-il ? Il ne savait. Il ne connaissait personne. Il s’arrêta, pour réfléchir, devant une librairie, et il regardait, sans voir, les livres à l’étalage. Sur une couverture, un nom d’éditeur le frappa. Il se demanda pourquoi. Il se rappela, après un instant, que c’était le nom de la maison où était employé Sylvain Kohn. Il prit note de l’adresse… Que lui importait ? Il n’irait certainement pas… Pourquoi n’irait-il pas ?… Si ce gueux de Diener, qui avait été son ami, le recevait ainsi, qu’avait-il à attendre d’un drôle, qu’il avait traité sans ménagement, et qui devait le haïr ? D’inutiles humiliations ? Son sang se révoltait. — Mais un fond de pessimisme natif, qui lui venait peut-être de son éducation chrétienne, le poussait à éprouver jusqu’au bout la vilenie des gens.

— Je n’ai pas le droit de faire des façons. Il faut avoir tout tenté, avant de crever.

Une voix ajoutait en lui :

— Et je ne crèverai pas.

Il s’assura de nouveau de l’adresse, et il alla

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