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LA FOIRE SUR LA PLACE

éclata de rire. Il rit, il rit, longuement. Quand il eut fini de rire, il dit :

— Vous me dégoûtez. Vous me dégoûtez tous. L’art ne compte pas pour vous. Ce sont toujours des questions de femmes. On monte un opéra pour une danseuse, pour une chanteuse, pour la maîtresse de Monsieur un tel, ou de Madame une telle. Vous ne pensez qu’à vos cochonneries. Voyez-vous, je ne vous en veux pas : vous êtes ainsi, restez ainsi, si cela vous plaît, et barbotez dans votre auge. Mais séparons-nous : nous ne sommes pas faits pour vivre ensemble. Bonsoir.

Il le quitta ; et, rentré chez lui, il écrivit à Roussin qu’il retirait sa pièce, sans lui cacher les raisons qui la lui faisaient reprendre.

Ce fut la rupture avec Roussin et avec tout son clan. Les conséquences s’en firent immédiatement sentir. Les journaux avaient mené un certain bruit autour de la représentation projetée, et l’histoire de la brouille du compositeur avec son interprète ne manqua pas de faire jaser. Un directeur de concert eut la curiosité de donner l’œuvre dans une de ses matinées du dimanche. Cette bonne fortune fut un désastre pour Christophe. L’œuvre fut jouée — et sifflée. Tous les amis de la chanteuse s’étaient donné le mot pour administrer une leçon à l’insolent musicien ; et le reste du public, que le poème symphonique avait ennuyé, s’associa complaisamment au verdict des gens compétents. Pour