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LA FOIRE SUR LA PLACE

mettaient une coquetterie à goûter un art ultra-aristocratique, qui était presque toujours l’ennemi mortel de leurs idées. Christophe était gêné de voir ces ministres socialistes, ou radicaux-socialistes, ces apôtres des classes misérables et affamées, faire les connaisseurs en jouissances raffinées. Sans doute, c’était leur droit ; mais cela ne lui semblait pas très loyal.

Où cela devenait tout à fait curieux, c’était quand ces gens, qui, dans la conversation particulière, étaient sceptiques, sensualistes, nihilistes, anarchistes, touchaient à l’action : aussitôt, ils devenaient fanatiques. Les plus dilettantes d’entre eux, à peine arrivés au pouvoir, se faisaient de petits despotes orientaux ; ils étaient pris de la manie de tout diriger, de ne rien laisser libre : ils avaient l’esprit sceptique et le tempérament tyrannique. La tentation était trop forte de pouvoir user du formidable mécanisme de centralisation administrative, qu’avait jadis construit le plus grand des despotes, et de n’en pas abuser. Il s’en suivait une sorte d’impérialisme républicain, sur lequel était venu se greffer, par surcroît, dans ces dernières années, un catholicisme athée.

Pendant un certain temps, les politiciens n’avaient guère prétendu qu’à la domination des corps, — je veux dire des fortunes ; — ils laissaient les âmes à peu près tranquilles, les âmes n’étant pas monnayables. De leur côté, les âmes