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LA FOIRE SUR LA PLACE

il lui arrivait encore, se promenant seul, de gronder tout à coup comme une bête… Pourquoi allait-il voir ces gens ? Pourquoi retournait-il les voir ? Pourquoi s’obliger à faire des gestes et des grimaces, comme les autres, à faire semblant de s’intéresser à ce qui ne l’intéressait pas ? — Est-ce qu’il était bien vrai que cela ne l’intéressât pas ? — Il y a un an, il n’eût jamais pu supporter cette société. Maintenant, elle l’amusait au fond, tout en l’irritant. Était-ce un peu de l’indifférence parisienne qui s’insinuait en lui ? Il se demandait parfois avec inquiétude s’il était donc devenu moins fort. Mais c’était au contraire qu’il l’était davantage. Il était plus libre d’esprit dans un milieu étranger. Ses yeux s’ouvraient malgré lui à la grande Comédie du monde.

D’ailleurs, que cela lui plût ou non, il fallait bien continuer cette vie, s’il voulait que son art fût connu de la société parisienne, qui ne s’intéresse aux œuvres que dans la mesure où elle connaît les artistes. Et il fallait bien qu’il cherchât à être connu, s’il voulait trouver des leçons à donner parmi ces Philistins, dont il avait besoin pour vivre.

Et puis, l’on a un cœur ; et, malgré soi, le cœur s’attache ; il trouve à s’attacher, dans quelque milieu que ce soit ; s’il ne s’attachait, il ne pourrait vivre.