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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

était sûre de passer, un matin, à la boîte aux ordures.

Pour le moment, l’idole était Beethoven. Beethoven — qui l’eût dit ? — était un homme à la mode. Du moins, parmi les gens du monde et les littérateurs : car les musiciens s’étaient sur-le-champ détachés de lui, suivant le système de bascule, qui est une des lois du goût artistique en France. Pour savoir ce qu’il pense, un Français a besoin de savoir ce que pense son voisin, afin de penser de même, ou de penser le contraire. C’est ainsi que, voyant Beethoven devenir populaire, les plus distingués d’entre les musiciens avaient commencé de ne le plus trouver assez distingué pour eux ; ils prétendaient devancer l’opinion, et ne jamais la suivre ; plutôt que de se trouver d’accord avec elle, ils lui eussent tourné le dos. Ils s’étaient donc mis à traiter Beethoven de vieux sourd, qui criait d’une voix âpre ; et certains affirmaient qu’il était peut-être un moraliste estimable, mais un musicien surfait. — Ces mauvaises plaisanteries n’étaient pas du goût de Christophe. L’enthousiasme des gens du monde ne le satisfaisait pas davantage. Si Beethoven était venu à Paris, en ce moment, il eût été le lion du jour : il était fâcheux pour lui qu’il fût mort depuis un siècle. Sa musique comptait d’ailleurs pour moins dans cette vogue que les circonstances plus ou moins romanesques de sa vie, popularisée par des biographies sentimentales et vertueuses. Son masque violent, au mufle de lion,