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LA FOIRE SUR LA PLACE

d’un Cyrano ? Ces gens-là remuaient le ciel et la terre, ils faisaient sortir de leurs tombeaux l’Empereur et ses légions, les bandes de la Ligue, les condottieri de la Renaissance, tous les cyclones humains, qui dévastèrent l’univers : — et c’était pour montrer quelque fantoche, impassible dans les massacres, entouré d’armées de reîtres et de sérails de captives, qui se consumait d’un amour de petit bêta romanesque pour une femme qu’il avait vue, dix ou quinze ans avant, — ou le roi Henri IV, qui allait se faire assassiner, parce que sa maîtresse ne l’aimait pas.

C’est ainsi que ces bonnes gens jouaient les rois et les condottieri en chambre, et qu’ils représentaient la passion héroïque. Dignes rejetons de ces illustres benêts du temps du Grand Cyrus, ces Gascons de l’idéal, — Scudéry, La Calprenède, — éternelle engeance, chantres du faux héroïsme, de l’héroïsme impossible, qui est l’ennemi du vrai. — Christophe remarquait avec étonnement que les Français, que l’on disait si fins, n’avaient pas le sens du ridicule.

Bien heureux, quand ce n’était pas la religion qui était à la mode ! Alors, pendant le carême, des comédiens lisaient à la Gaîté les sermons de Bossuet, avec accompagnement d’orgue. Des auteurs israélites écrivaient pour des actrices israélites des tragédies sur sainte Thérèse. On jouait Chemin de Croix à la Bodinière, l’Enfant Jésus à l’Ambigu, la Passion à la Porte-Saint-Martin, Jésus