toujours vécu comme si je devais vivre cent ans — ou être mort le lendemain : ce m’est tout comme. Il ne s’agit que d’être tout à ce que l’on fait.
Sur mon chemin du Beethoven, j’ai croisé maintes figures qui m’ont arrêté : elles ont beaucoup à me conter, et je suis toujours prêt à écouter : je suis né confident des vivants et des morts. — En voici deux, qui ont mêlé les fils de leur existence à celle de mon Beethoven. L’une est Bettine, la folle et sage, qui rêva sa vie, mais dont les yeux de somnambule ont vu au fond du rêve des génies, que les mieux éveillés de leur temps méconnurent : Beethoven, Hölderlin, et annoncé les Révolutions. — L’autre est le maître et compagnon de tous les jours de la vie, Gœthe. Celui dont, depuis ma trentième année, j’ai périodiquement consulté l’œuvre innombrable, comme, aux temps passés, ceux qui, dans les heures où le jour tombe et où la pensée se replie — (Faust qui se tait et songe, dans la pénombre de la chambre) — interrogeaient leur vieille Bible. Pas une seule fois, je ne suis revenu de ma visite, la bouche sèche d’une aride réponse, ou les bras chargés de principes morts, d’idées abstraites, d’a priori, mais rajeuni par un flot d’expérience vive, un jet des sources qui bondit des fonds. Ils ne sont point légion, même parmi les génies, ceux qui sont en permanente communion avec l’Esprit de la Terre !