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Nous sommes grillés jusqu’à la moelle : la chaleur a desséché le peu de terre végétale qui couvre nos carrières ou nos rochers, l’herbe n’est plus que de la paille brisée, la fleur périt avant d’éclore, les légumes ne sauraient fournir de substance ; tout meurt ou languit. Déjà les feuilles tombent comme en automne, et l’horizon brûlé ne réfléchit qu’une vapeur ardente qui consomme ou anéantit.

Nous aspirons après l’aura fresca, comme le cerf altéré après l’eau des fontaines… Mais je m’amuse à vous peindre nos misères, tandis que vous avez mieux à faire qu’à m’écouter. J’ai envie de ne plus vous écrire, pour vous faire dépêcher de venir.

Adieu, mille fois adieu, pourvu que vous nous disiez bientôt bonjour.


377

À BANCAL, À PARIS[1].
20 août l’an 2 de la liberté, — [du Clos].

À Dieu ne plaise, mon digne ami, que j’aie jamais rien à vous prescrire ! Ce serait supposer que votre volonté aurait besoin du concours d’un autre pour se déterminer à ce que vous devez faire, et certainement je ne vous crois pas homme à avoir ce besoin-là. Mais ce qu’on doit préférer de faire n’est pas toujours évident, et, dans les circonstances difficiles où se trouve la patrie, toutes les démarches des bons citoyens sont trop importantes pour n’être pas pesées avec la dernière rigueur ; voilà pourquoi j’ai eu des craintes et j’ai eu le courage de vous les faire connaître. Mon mari m’a fait la guerre de mes observations ; il prétendait quelles vous montraient moins d’empressement à vous voir, et je crois qu’il me trouvait en cela inconséquente ou moins franche qu’à l’ordinaire. Je me suis persuadée que vous ne vous y tromperiez pas, et vous m’avez justifiée.

Je ne balancerai pas toutes vos raisons, car je le ferais difficilement avec impartialité ; mais j’avoue que votre qualité d’électeur et le rapprochement de ce que vous appelez votre habitation politique m’ont fait un extrême plaisir, et je m’attache à cette considération qui s’accorde si bien avec nos souhaits.

  1. Lettres à Bancal, p. 64 ; — ms. 9534, fol. 42-44. La lettre porte le timbre de la poste de Villefranche, et la même adresse que la lettre 371.