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[À BOSC, À PARIS[1].]
22 mai [1788, — de Villefranche].

Grand merci de vos nouvelles ; elles nous remettent un peu au monde dont nous étions à cent lieues. Je suis fort de votre avis, et sur les principes, et sur la besogne, et sur le résultat qu’on peut en souhaiter.

Nous n’avons que des bulletins falsifiés ; on met des cartons aux journaux ; c’est une pitié. Ma santé n’est pas encore merveilleuse ; je suis menacée d’une autre médecine : une once de dureté de cœur et autant d’insouciance pourraient faire grand bien à mon physique ; mais cette drogue, toute commune qu’elle soit, n’est pas marchande, et l’usage m’en répugnerait.

Envoyez-moi donc votre journal, s’il n’est pas latin ; quant aux poulardes, je ne pourrais les promettre en échange, mais bien du joli quartz sur des pierres jaunes dont notre Clos abonde. Est-ce que cela n’est pas encore meilleur pour un savant, sans être aussi digestible ? Donnez-nous de bonnes recettes contre les chenilles, et vous pourrez venir manger de nos pommes. De bonne foi, est-ce que vous ne saurez jamais faire un pèlerinage dans ces cantons ? Nous vous promènerons dans nos bois et nos montagnes ; vous verrez, de notre terrasse, la crête du Mont-Blanc, que nos paysans appellent, je ne sais pourquoi, le Mont-du-Chat[2], et nous irons visiter de compagnie le Mont-Pila. Soulevez un, peu vos chaînes, et accourez dans nos réduits ; vous y trouverez avec nous la franche amitié et la douce bonhomie. Une femme de Lyon m’a trahie[3], son mari a fait pis encore et ils ont imprimé la moitié de mon petit voyage de Suisse ; j’ai demandé, exigé un carton qui supprimât nom et indices ; il a été fait ; mais il y a tant de fautes, et un abbé censeur m’a si bien rognée, que j’en suis toute bête et toute étourdie.

  1. Bosc, IV, 124 ; Dauban, II, 565.
  2. On aperçoit en effet fort bien, des collines de Theizé, par les vents du midi, et le Mont-Blanc et le Mont-du-Chat, que Madame Roland confond ici. Le Mont-Pilat est au sud-ouest de Lyon.
  3. Voir la lettre précédente. Quant à « l’abbé censeur », dont nous ignorons le nom, la coupure la plus significative qu’il ait faite est celle d’une phrase sur Rousseau et sur l’oppression de Genève après les événements de 1782.

    Champagneux, en imprimant le Voyage en Suisse dans son édition de 1800 et en rétablissant les passages retranchés en 1788, en a supprimé d ’autres.