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avec lui à Lyon ; il s’est vu avec notre ami et ils ont fait des projets pour se revoir ; s’ils s’exécutent, j’en saurai quelque chose, mais ce serait ici, et nous causerons alors de cet habile Hongrois, compère bien délié, bien actif, bien à sa gloire et à son affaire, si je l’ai bien jugé jadis à Londres.

Ce serait à moi de vous dire qu’il n’y a rien ici à vous mander, et cela ne vous étonnerait pas ; car, pour ce qui est de moi, de mon allure, de mes habitudes, il ne vaut guère la peine d’en parler : c’est si simple et si uniforme à l’œil ! Quant à ce qui me passe par la tête, c’est une autre affaire ; les tableaux sont assez variés et quelquefois intéressants. Mais vous avez bien besoin de ce qui se passe dans la tête d’une femme, vous autres gens de là-bas, qui anatomisez les cerveaux comme moi des côtelettes, et qui avez des cervelles à revendre !

L’ami est à Lyon, occupé de mille choses, voyant mille gens ; jouissant de son activité même, de ce qu’elle lui vaut pour son travail, et de ce que celui-ci, joint à son caractère, lui mérite de considération.

Je reste à la case par la raison qui en retient bien d’autres ; c’est que je veux ménager mon argent et ne pas faire comme vous dites auprès de ces renégats de philosophie à qui vous permettez de vous en prêter,

À propos ; vous ou Lanthenas, avez-vous de l’argent à mon mari ? Qui que ce soit de vous deux, il m’achètera une Méthode pour le chant, du sieur Cajon[1], chez la veuve Salomon, place de l’École. Cela coûtait 9tt, je crois, avant l’impôt. Comme c’est un peu gros (petit in-folio), il faudra attendre l’occasion de quelque grosse expédition que fera faire notre ami, pour me l’envoyer.

J’en avais un exemplaire autrefois ; je l’ai donné, comme les Caraïbes donnent leur lit de coton, sans réfléchir que j’en avais besoin, du moins pour ma progéniture.

Savez-vous qu’Eudora joue trois gammes sur mon forte-piano, et le quart de Malbroug ? Elle avait par là, et à Lyon, trois petits maris

  1. Cajon avait été le maître de chant de Marie Phlipon. — Voir Mémoires, t. I, p. 13.