Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/696

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il pleut maintenant, et beaucoup ; je suis fort aise d’être venue ; j’en avais hâte ; la paix et l’air des champs, les doux souvenirs et l’espérance de t’embrasser sont ici des biens qu’aucun caquet, aucune sottise ne vient troubler.

Le Doyen est venu me voir très souvent à la ville ; il m’a lu un éloge de M. Goulard[1], que lui demande Luneau de Boisjermain pour le faire imprimer et, sur lequel, disait-il, il voulait mon avis ; je n’ai fait qu’approuver, et véritablement il m’a paru bien fait. Adieu, mon cher bon ami, je t’embrasse de tout mon cœur. As-tu écrit au Crespysois pour vous rencontrer ? Mille choses à l’ami Lanthenas, à mon père, le bon oncle et la pauvre Agathe.


236

[À BOSC, À PARIS[2].]
12 mai [1786], — du Clos.

En vérité, vous n’êtes qu’un caméléon ou je ne sais quoi de pis. Vous commencez votre lettre sur le ton d’un saltimbanque ; vous la continuez en homme sensible, et vous la terminez comme un roué. Dites-moi en quel endroit a percé le naturel ?

Je voudrais bien vous prouver que je suis fondée à douter ; mais je ne suis pas disposée à faire des preuves. Sachez seulement que je ne vous saurai pas le moindre gré de là constance de mon mari, et que, s’il me montrait un demi scrupule de changement, je m’en prendrais à vous. Apprenez donc à mettre plus de finesse, de discrétion et de duplicité dans vos projets de noirceur. Vous n’avez l’air que d’un écolier ou d’un paillasse, et, toute provinciale et bonne que je sois, j’en revendrais à cent comme vous, si j’en voulais prendre la peine. Il vous va bien de dire qu’il ne faut plus m’aimer ; allez, il vous sied mieux de convenir que vous l’oubliez, car il n’en sera que ce qui est écrit là-haut, comme disent les bonnes gens. Quant à nous autres femmes, ce n’est pas la même chose. Mais la pluie cesse, un rayon de soleil m’attire, et vous ne vous fâcherez

  1. Thomas Goulard, chirurgien à Montpellier, membre de l’Académie des sciences de cette ville, associé de l’Académie de Lyon.
  2. Bosc, IV, 108 ; Dauban, II, 549.