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cun a ses travers, et ceci m’en a paru un bien pommé, aussi j’ai répondu à ses témoignages de regrets que j’eusse pris tant de peines inutiles, que j’avais la seule chose sur laquelle j’eusse compté et que je ne croirais pas mon voyage perdu en restant à ce point. Nous sommes toujours les meilleures amies du monde, et peut-être n’y a-t-il que l’extrême envie qu’il y eût davantage qui lui fasse estimer si peu ce que nous avons ; je le crois volontiers.

J’ai fini ma matinée d’hier par visiter les tableaux du Palais-Royal[1] ; chose délicieuse que je verrais et reverrais bien des fois. J’avais été près de la Bibliothèque du Roi, au Marais[2], j’étais horriblement fatiguée ; le dîner a réparé, et j’ai employé le reste du jour avec l’ami d’Antic chez le bon M. de Lille[3] qui nous a montré ses cristaux, etc. ; autre chose dont je ferais un cours si j’étais ici. Aujourd’hui, la matinée se passera à faire lettres, précis, toilette, voir Prault, la petite sœur, et ce soir Figaro. J’écrirai au premier jour à M. Audran[4]. Je ferai le paquet pour M. Houel[5] demain ; j’irai à l’audience de B[londel] le

  1. La fameuse galerie du duc d’Orléans, dispersée pendant la Révolution.
  2. Madame Roland a probablement voulu dire non la Bibliothèque du Roi (très voisine du Palais-Royal), mais la Bibliothèque de la Ville, ouverte en 1763 et transportée depuis 1773 « à la maison de Saint-Louis, rue Saint-Antoine » (Alm. royal de 1784, p. 500-501).
  3. Romé de l’Isle.
  4. Michel Audran (1701-1795) appartenait à la famille des illustres graveurs (petit-neveu de Gérard Audran et troisième fils de Jean Audran). Il avait onze frères et sœurs et quatre enfants. Il était, depuis plus de trente ans, un des « entrepreneurs » de la manufacture des Gobelins. — Roland, comme on le verra par la suite, tirait de lui, pour son Dictionnaire des manufactures, beaucoup de renseignements précieux sur la teinture des laines et des soies employées dans les tapisseries ; il le cite d’ailleurs dans son ouvrage, t. III, Disc prél., p. cxxv.

    Ami de Bosc et de Roland, membre des deux communes provisoires du 25 juillet et du 18 septembre 1789 (Robiquet, p. 207 et 213), Michel Audran fut nommé, sous le second ministère de Roland, directeur des Gobelins (4 septembre 1792). C’est également en qualité d’« ancien ami des Roland, et affilié depuis longtemps à toute la clique liberticide », que, le 29 octobre 1793, il fut incarcéré à Sainte-Pélagie par le comité de surveillance de sa section. Révoqué le 13 novembre suivant, il fut réintégré dans ses fonctions le 14 avril 1795 et mourut deux mois après (20 juin). — Voir Les Audran, par Georges Duplessis, Paris, 1892.

  5. Jean-Pierre Houel, graveur et peintre (1735-1813). — Il avait publié, vers l’époque où Roland donnait ses Lettres d’Italie, un Voyage pittoresque de Sicile, Malte et Lipari.