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À propos de Mme de Chg. [Chuignes], on débite à mi-voix qu’à force de remèdes sa tête s’est affectée : la bonne mère de B[ray][1] disait gravement à la petite Durx. [Durieux] qui s’en moquait : « Ma fille, elle est plus à plaindre qu’à blâmer, vous ne devez pas en rire. » Le fait est que Mme de Chg. [Chuignes] n’est folle que de sa charmante, comme elle l’a toujours été ; mais que l’espoir de la marier suivant son ambition la rend d’une gaîté et d’une jactance dont on s’ennuie, et dont on devrait bien voir la cause, quoiqu’elle s’efforce de la taire. La petite personne est toujours la déesse de nos redoutes et la folie du jour ; tous les jeunes gens la fêtent : c’est devenu la mode, ou le ton ; tous disent qu’elle n’est qu’une coquette ; tous, après l’avoir accablée de jolis riens et de sottises galantes, s’en vont disant qu’elle se met et danse comme une fille. Tel que soit le triomphe, la jeune élégante en jouit pleinement ; elle ne paraît jamais à la redoute que très tard, de manière que son arrivée fait éclat ; tous les papillons voltigent aussitôt de son côté ; le concours est universel et l’abandon des autres prétendantes aussi complet qu’il soit possible ; la toilette toujours brillante de cette dernière arrivée se soutient mieux, précisément par cette raison ; elle l’emporte ainsi par la fraîcheur autant que par la recherche.

Une voiture arrête… On est longtemps à annoncer… Bon ! c’est Mme de Chg. [Chuignes], la petite personne et la vieille tante[2].

Elles sont parties ; j’ai eu bonne envie de rire en déposant ma plume quand elles sont entrées ; n’est-ce pas dommage qu’elles n’aient point vu ce que j’écrivais ? Visite de petite demi-heure, longue exposition des maux, grande information de santé, beaucoup de choses pour toi, des questions sur les nouvelles de Mlle de la Belz. [Belouze], etc. Mme de Chg. [Chuignes] me parait bien guérie ; elle dit n’avoir plus de douleurs ; son visage est bon ; elle ne ressent que des accès d’une sorte de faiblesse et d’accablement, fruits des remèdes, qui annoncent le besoin

  1. La bonne mère de Bray, c’est Marie-Antoinette Decourt, mariée en 1724 à François-Alexandre de Bray, mère de l’avocat du Roi Alexandre-Nicolas de Bray, et par conséquent grand’mère de la petite Mme Durieux.
  2. C’est-à-dire Mme de Chuignes, sa fille, et la grand’tante Madeleine Decourt.