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communs me rendent agréables et chères. Je prévois bien que, s’il me survient la moindre indisposition, par telle cause que ce soit, on ne manquera pas de l’attribuer aux efforts que j’ai faits, pour redevenir nourrice ; appuyée sur mes motifs, je supporterais sans peine le blâme qu’on me rejetterait, et, si je pouvais en redouter quelque chose, ce serait l’impression qu’il te ferait si tu demeurais dans l’opinion où je te vois présentement ; tu te ferais un sujet de regrets de n’avoir pas été présent pour arrêter mes résolutions, et je souffrirais doublement de ton chagrin et de son principe. Mais pourquoi prévoir des épreuves auxquelles j’ai droit de ne pas m’attendre ? À cet instant que je t’écris d’une main avancée sur ma table, je tiens de l’autre ma petite qui se retire du sein pour me sourire. Je ne sais si nous conserverons cet enfant ; j’ignore ce qu’il sera, s’il nous reste ; mais, du moins, sa mémoire ou sa présence ne me rappellera pas d’avoir manqué envers lui à rien de ce dont la nature me fait un devoir ; ce sentiment adoucirait, ce me semble, la douleur de sa perte ou de ses sottises. Quant à celles-ci, je n’ai pas moins la confiance de les prévenir par ma propre exactitude à remplir mes obligations maternelles ; je jouis de l’espoir qu’un enfant né de toi, dans mon sein, ne nous fera jamais regretter de l’avoir mis au monde.

J’ai lu avec empressement et relu avec réflexion la lettre de M. Baillière[1] ; elle me parait extrêmement polie, agréable et légère, j’ajouterais volontiers amicale ; mais il en dît trop et trop peu. Je veux dire que, pour exprimer tant d’admiration, car c’est son terme, il ne la motive pas assez, suivant mon goût. Je voudrais d’autres éloges que ceux du style, du cœur et des principes d’un auteur, à l’occasion d’un ouvrage où l’on peut remarquer variété de connaissances, finesse ou nouveauté dans les vues, sagacité dans les observations, justesse et goût dans les critiques, etc. ;. car, si tout cela n’était pas dans les lettres, il faudrait qu’il y fût pour que M. B[aillière] pût en marquer tant de satisfaction et même en avoir réellement : ou bien il serait plus superficiel que je ne l’estime être. Au reste, sa lettre et ses louanges

  1. Au sujet des Lettres d’Italie.