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ANNÉE 1782.

Notre petite va mieux ; la crise diminue : elle a toujours le ventre relâché, mais moins de coliques, plus de sommeil et d’appétit.

J’aurais bien encore quelque chose à te dire, si ton inquiète tendresse, facile à s’alarmer, ne me faisait craindre de lui fournir des prétextes, tandis que tu devrais être tranquille ; mais je sais aussi quel crime tu me fais de la moindre réserve que ton agitation et le désir de te voir en paix me font avoir. Rappelle-toi donc que je mange, digère et dors bien, que je n’ai plus de coliques et que les forces reviennent ; qu’enfin je ne fais rien sans examen et sans conseil ; puis sache que, du premier jour de l’an, j’ai fait revenir la femme à tirer le lait. Elle vient le matin à dix heures et le soir à cinq et demie, moments où la digestion ne peut être interrompue par l’opération ; je déjeune à huit et je demeure au lit pour me faire tirer, afin de me reposer un peu après. Les deux premiers jours, nous n’avons obtenu que des gouttes d’une eau glaireuse et salée ; ce matin, cette eau était blanchâtre et plus douce ; le médecin et tous croient fermement que mon lait reviendra à mesure que je prendrai plus d’aliments et plus de forces. Je m’occupe à mettre de l’eau et du sel aujourd’hui sur les mamelons, que la cessation de donner à téter, jointe à la maladie, a rendus presque aussi tendres que dans les commencements. Celui qui était resté intact s’est déjà un peu écorché : me voilà aux soins d’une nouvelle accouchée, mais c’est une amusette s’ils ne sont pas inutiles. Sois en paix, nous allons doucement, avec prudence, et le moindre ralentissement dans le mieux nous ferait arrêter tout court. Au lieu de m’envoyer des recettes de lavements, tu ferais bien de m’en chercher pour favoriser le retour du lait. Ma garde et toutes les bonnes femmes m’ont prêché l’eau distillée de verveine ; mon médecin m’a assurée qu’elle ne me ferait pas de mal, sans m’en promettre beaucoup d’effet. Sa première affirmation m’a déterminée à en faire l’essai ; j’en bois avec mon vin ; c’est un assez mauvais ragoût. Que veux-tu ? Si la nature me refuse les privilèges qui appartiennent aux mères, il faut au moins que tout le tort soit de son côté.