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des départements : elle les attend comme des libérateurs ; mais, jusque-là, elle laisse faire, et, s’ils n’étaient les plus forts, elle tournerait aussi contre eux, car la lâcheté la caractérise. Cette lâcheté abandonne le terrain aux oppresseurs, qui ont pour eux, en ce moment, des apparences de légalité avec lesquelles on enchaîne les sots. Il est possible que cinq à six mille hommes, arrivés dans la première quinzaine, eussent changé l’air du bureau ; mais puisqu’on a tant fait que d’attendre, ce n’est plus le cas de se détacher ; il faut que ce soit la masse qui s’ébranle. La grande affaire est de s’assurer des postes, de maintenir une grande discipline, d’entretenir le bon esprit par des écrits marqués au coin de la vérité, de la vigueur et de la simplicité, de bien veiller aux subsistances, aux moyens de soutenir les frais, et d’ordonner sagement les dépenses. Voilà les parties que devraient surveiller les députés et auxquelles leurs soins ou leurs avis doivent être donnés. Il y a presque toujours assez de gens pour agir, et trop peu qui soient capables de diriger.

V[allée] m’a bien parlé de fonds, s’ils m’étaient nécessaires ; mais, outre que mes besoins sont extrêmement bornés, j’ai eu recours, dès le commencement, à mon propriétaire, et je l’ai fait parce qu’il est nécessairement nanti, pour tous les cas, des moyens d’être remboursé[1].

Le malheur a voulu que les fonds que nous avions placés nous aient tous été remboursés en avril et mai. Embarrassé de leur rentrée, X. [Roland] a cherché et fait une acquisition[2]. Elle n’est pas toute payée, et j’ai sous les scellés, indépendamment de tous mes effets, peut-être huit ou dix mille livres que je n’ai pu retirer, parce que je n’avais pas la clef du bureau ou elles sont renfermées. Ces scellés ont été apposés par les brigands, comme si c’était autant d’objets confisqués, et ils se sont approprié, par avance, quelques-uns de ceux qui étaient à leur dévotion, comme chapeaux, cannes, gants, etc.

Il me semble qu’indépendamment de l’intérêt général celui même de chaque département exige la conservation de l’unité ; car c’est sous le faux prétexte qu’ils veulent la rompre, que des communes de ceux-mêmes qui se sont le mieux prononcés se portent en sens contraire. On courrait donc le risque de cruelles divisions intestines si l’on se jetait dans cet extrême.

  1. Dans le compte de tutelle rendu par Bosc, en 1796, à Eudora Roland (ms. 9533, fol. 135-138), on lit : « Loyer à la citoyenne Cauchois, 1,108 livres ; — remboursement à la même, 800 livres ».
  2. Le domaine de Villeron, au district de Gonesse, comprenant 45 arpents (environ 15 hectares), d’un revenu de 1,532 livres, acheté par Roland le 13 mars 1793 (A. Rey, Bosc, p. 20 et 46).