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trois mois. Constance et générosité peuvent tout sur un cœur honnête et sensible qui n’a point d’engagements.

Votre idée de la respecter trop pour continuer de la voir, si toute espérance vous est ôtée, me paraît plus brillante que délicate et juste, dès qu’on vous permet de venir et qu’on veut vous recevoir. Ne dirait-on pas que vous avez tous les droits ou que vous vous craignez vous-même ? Soyez plus équitable envers vous et ayez plus de constance dans un sentiment pur qui n’a pour objet qu’un lien sacré. M. W. [Marie Williams] vous accorde estime, intérêt, amitié, sympathie ; méritez sa reconnaissance et son attendrissement ; gémissez avec elle du sujet mélancolique de ses regrets[1] ; que votre passion généreuse devienne pour elle le premier, le plus doux des consolateurs. Aimez-la assez pour désirer véritablement d’adoucir sa tristesse ; songez qu’elle ne peut encore parfaitement vous connaître et vous apprécier. Mettez-le dans le cas de juger que l’ardeur de vos souhaits ne tient pas uniquement à l’idée de votre propre bonheur en obtenant sa main, mais à l’espoir, à la conscience d’opérer le sien. Commencez donc à prouver que vous en êtes capable ; ayez assez d’empire sur vous pour être son meilleur ami, il sera impossible que son cœur tendre ne vous choisisse enfin pour le premier objet de ses affections. L’excès du sentiment, son délire, ses emportements peuvent frapper, séduire, entraîner l’imagination et les sens ; mais une véritable passion tire d’elle-même la puissance de se contraindre et de se dévouer pleinement à son objet, et sa délicatesse, sa persévérance sont les seuls, mais les sûrs moyens de s’attacher pour jamais la femme respectable dont on veut faire la compagne de sa vie.

Je ne vous ai pas vu hier ; je vous pardonne de m’oublier si vous êtes heu-

    vier 1793, elle obtint de Bancal qu’il voterait contre la mort de Louis XVI. Emprisonnée trois mois durant la Terreur, puis réfugiée en Suisse, elle revint à Paris dès 1795, intimement lié (par un mariage secret ?) avec son compatriote Stone, ami comme celle de la Révolution française. À ce moment, Bancal lui offrit de nouveau sa main (Mège, p. 165), mais sans plus de succès. Elle vécut à Paris jusqu’à sa mort, toujours attachée à la France et à la liberté.


    Cet trois lettres de Madame Roland ne sont pas datées. Elles se placent forcément entre la fin de juillet 1792, où Miss Williams revenait à Paris, et la fin de mars 1793, où Bancal partait pour cette mission auprès de Dumouriez qui devait le conduire dans les prisons de l’Autriche. Nous inclinons à croire qu’il faut les mettre après le moment où Miss Williams avait eu assez d’empire sur Bancal pour déterminer son vote dans le procès du Roi, c’est-à-dire en février ou mars 1793. Mais elles pourraient être aussi des premiers jours d’août 1792.

  1. Mis Williams venait de perdre son père.